Il fait partie d’une nouvelle génération d’entraîneurs tunisiens instruits et tournés vers la pédagogie. Cet ancien gaucher de charme aux idées claires, s’est frayé son chemin jusqu’au staff de l'Equipe Nationale U20 et ne compte pas s’arrêter là. Découvrez le profil d'Amine Neffati dans cette interview Ettachkila avec comme mots d’ordre : méthode, détermination et bon sens.
Les débuts et les figures d’attachement
Ettachkila : Bonjour et bienvenue Amine. Si tu commençais par nous parler de ta formation ?
Amine Neffati : Bonjour et d’abord merci pour cette invitation. Pour revenir à mes débuts, je suis un pur produit de la formation Sang & Or (Amine est excentré gauche de formation mais a souvent évolué comme latéral voire relayeur gauche durant sa carrière, ndlr) passé par toutes les catégories de jeunes à l’Espérance Sportive de Tunis : des Ecoles A jusqu’aux Seniors ainsi que par les sélections nationales Cadets et U16.
Durant ce parcours, j’ai eu la chance d’avoir bénéficié d’une excellente formation technique sous la houlette de nombreux éducateurs comme Taoufik Lâabidi (qui nous faisait notamment nous échauffer avec des balles de tennis), Tarek Mekki, Taoufik Latrach, Naceur Nefzi… pour ne citer qu’eux. Une idée motrice était présente tout au long de ma formation : le plaisir comme élément indissociable de l’apprentissage.
Ettachkila : Un mot sur ta génération et les figures d’influence qui t’ont le plus marqué durant cette époque ?
Amine Neffati : À L’Espérance, j’ai notamment évolué avec les Cadets 84, une génération très forte avec les Amine Ltifi, Rami Jridi, Mohamed Slama, Issam Jemaa pour ne citer qu’eux ainsi que Hamdi Harbaoui et Ahmed Ben Yahia qui étaient surclassés. Comme on était bien formés, dès les Cadets on se sentait déjà mûrs tactiquement. En équipe nationale, j’ai joué avec les U16 et les U18 en comptant des coéquipiers comme Wissem Yahia, Karim Hagui, Maâouia Kadri et Aymen Balbouli..
Tout au long de ma jeunesse, j’ai baigné dans l’ambiance du Parc B en admirant des joueurs comme Tarek Thabet, Ayadi Hamrouni ; accroché au grillage, je rêvais les yeux ouverts devant l’impressionnante palette technique de ce drenier : frappes, contrôles, conduite de balle soyeuse.. Un joueur hors-normes. Mais mon idole était mon père, ancien de l’USM qui a roulé sa bosse dans le coaching au sein des catégories de jeunes à l’Espérance ; dès mes 4, 5 ans je le suivais pour les matchs qu’il dirigeait les weekends en Amateurs. Ces moments m’avaient beaucoup marqué…
Ettachkila : Comment s’étaient faits tes débuts avec les A de l’Espérance ?
Amine Neffati : C’est feu Oscar Fulloné (entraîneur de l’Espérance en 2003/04, ndlr) qui m’avait promu chez les Seniors après m’avoir repéré lors d’un match des Espoirs contre le CSS. J’étais convoqué, mon intégration s’est faite progressivement mais je ne jouais pas et faisais souvent l’ascenseur entre les A et les Espoirs. Suite au départ de l’argentin, je fais partie de l’effectif du doublé 2005/06 avec coach Khaled Ben Yahia : une aventure formidable mais j’étais forcé de constater que je ne jouais toujours pas.
« Je n’aime pas faire du surplace »
Le parcours du combattant..
Ettachkila : Commence alors un parcours de «globetrotter» avec des prêts à répétition. Que s’est-il passé pour que tu coupes ainsi le cordon avec les Sang & Or ?
Amine Neffati : Je voulais avoir du temps de jeu et c’est dans cette logique que l’Espérance m’a d’abord prêté au Club sportif de Hammam Lif où je fais une bonne saison 2006/07. De retour de prêt, le brésilien Carlos Cabral (dit « Cabralzinho », ndlr) m’a assuré qu’il comptait sur moi dans ses plans, mais après 6 mois sans jouer, je sens que je fais du surplace. Je décide de voir Chokri El Ouaer, alors Directeur Sportif du club, pour lui signifier que je voulais partir pour jouer. Tarek Thabet ayant pris en main le Stade Gabèsien, mon départ à la « Stayda » était vite acté sous forme d’un nouveau prêt. L’expérience du néo coach Gabèsien ayant tourné court, je le suis (libre de contrat cette fois) pour une pige à Jendouba Sport avant de rebondir au Stade Tunisien où, après une blessure et un retour précipité, je passe en tout 3 belles saisons.
Ettachkila : Quel apprentissage as-tu tiré de toutes ces expériences ?
Amine Neffati : J’en ai tiré beaucoup d’enseignements. Ce parcours m’a permis de connaître des personnes formidables et a forgé ma capacité à travailler sous stress et dans des environnements différents. Malgré des conditions parfois compliquées, je n’ai pas dévié des objectifs que je m’étais tracés : faire une carrière honorable, continuer mon apprentissage et devenir coach.
« Amine avait un super pied gauche et s’intéressait beaucoup au coaching depuis l’époque de Patrick Liewig au Stade Tunisien. Il faisait ses études en parallèle à l’INEPS et savait qu’il allait prendre ce chemin après la fin de sa carrière. Un vrai passionné, très déterminé. »
Slim Ben Othman, ancien co-équipier d’Amine Neffati au ST et actuel directeur sportif chargé des binationaux au sein de la FTF.
Une passion nommée coaching
Ettachkila : Tu obtiens ton diplôme d’entraîneur de 3e degré (ancienne appellation du diplôme CAF A) alors que tu étais encore joueur au CSHL. Comment l’intérêt pour le coaching s’est-il développé chez toi ?
Amine Neffati : Mon père étant entraîneur, c’est dans la logique des choses que j’ai souhaité lui emboiter le pas. Ma maîtrise de l’INEPS puis mes diplômes CAF B et A en poche, je suis encore joueur du CSHL quand coach Ferid Ben Belgacem prend les rênes de l’équipe lors de la saison 2014/15. L’expérience de ce dernier ayant vite tourné court, il est remplacé par Noureddine Bousnina qui n’avait pas encore les diplômes requis pour être homologué. Comme les matchs s’enchaînaient et qu’il n’y avait pas moyen de changer, je me retrouve inscrit comme entraîneur-joueur.
Je garde d’excellents souvenirs de cette saison à Hammam Lif : ma deuxième avec les Verts et la toute dernière de ma carrière puisque (et c’est un choix mûrement réfléchi) je raccroche les crampons à 31 ans en étant titulaire, pour me consacrer à une nouvelle étape que j’avais beaucoup préparée : le coaching.
Ettachkila : Dans quelle mesure avais-tu justement préparé cette reconversion ?
Amine Neffati : Dans l’absolu, j’ai une approche claire qui m’a toujours accompagnée depuis le début de ma carrière : D’abord, je me fixe un objectif que je décline en sous-objectifs journaliers ou au maximum mensuels, suite à quoi je fais mon auto-évaluation pour réajuster mon travail. Mon plan de carrière a toujours été pensé en fonction de mon premier objectif : devenir coach. Il me fallait donc ne pas perdre de temps et glaner assez tôt de l’expérience.
Ettachkila : Comment se sont faits tes débuts en tant que coach ?
Amine Neffati : Après avoir raccroché les crampons, j’ai enchaîné sans transition en conduisant les Ecoles de l’Espérance à la Danone Nation Cup puis en prenant en main les Juniors en 2015/16 à l’époque du Directeur Technique Gérard Buscher et où j’ai eu notamment des garçons comme Aziz Chtioui et Montassar Talbi : un vrai Pro, bien éduqué et dont la trajectoire qu’a pris sa carrière ne m’a d’ailleurs pas surpris.
J’ai par la suite fait une saison au CSHL comme adjoint de Buscher avec qui j’ai partagé ma longue expérience des terrains de la Ligue1, avant de franchir un palier et de renforcer le staff de la sélection U17 avec Nejah Toumi, puis actuellement celui des U20 (suite au départ de Youssef Zouaoui) avec le même head coach (Najeh Toumi) : un excellent technicien, reconnu par ses pairs et aux côtés duquel je continue à apprendre.
Ettachkila : Comment définirais-tu ta philosophie de jeu et quelles sont tes influences en tant qu’entraîneur ?
Amine Neffati : Je me revendique un peu de l’école portugaise. Grand admirateur de José Mourinho, je suis particulièrement sensible au jeu en transition, aux séances d’entraînement mixant travail physique, tactique mais toujours en intégrant le ballon Un mix qui vise à atteindre la performance en un temps optimal. Comme entraîneur, je recherche la performance tout en développant chez mes joueurs la prise d’initiative et la capacité à faire les bons choix. Pour moi, l’équation « résultat vs apprentissage » est complexe mais tout à fait possible.
« La quête du résultat ne doit pas tuer la créativité »
Ettachkila : Tu as eu une expérience significative au sein d’une académie de football privée. Contrairement à la privatisation de la préparation physique et mentale, on a encore du mal à voir des exemples de réussite de footballeurs formés dans le privé. Pourquoi ?
Amine Neffati : C’est une question légitime qu’il faut d’abord contextualiser : Dans le privé, il y a l’aspect « loisirs » (la simple recherche de plaisir et de socialisation) et l’aspect « Formation » (avec un objectif à plus long terme) qui implique de détecter, entraîner et développer un noyau de talents du même âge en vue d’en sortir de futurs joueurs Pro. Cette dernière configuration requiert tout un programme pour permettre à des talents d’éclore dans de bonnes conditions (bonne infrastructure, entraîneurs qualifiés, sensibilisation à la nutrition et à la préparation mentale notamment).
Si j’estime que la privatisation ne permet pas de résoudre le problème (plus global) de la formation en Tunisie, on sera toutefois en mesure de voir le fruit des académies privées dans 3, 4 ans même si on a déjà quelques modèles de réussite issus des académies à l’instar d’Aziz Abid (natif 2003 évoluant avec les Juniors de l’Espérance) ou encore Wassim Maghzaoui (natif 2004, passé Pro au Club Africain). Nous avions par ailleurs fourni à l’Espérance un groupe de 7, 8 jeunes prometteurs dont nous suivrons l’évolution.
« Nous avons la qualité pour performer mais il faut d’abord repenser les plannings scolaires. »
Ettachkila : Tu as abordé le sujet complexe de la formation en Tunisie. Quel est justement ton point de vue sur la question ?
Amine Neffati : Afin de mieux aborder la question de la formation des jeunes, il faut regarder sous « l’iceberg » du résultat. Pour moi, la cause réelle du problème est à chercher notamment dans le planning scolaire : un jeune qui suit des horaires d’études classiques (8h-12h puis 14h-18h) en parallèle de ses entraînements en club se retrouve épuisé en fin de journée, mange à la hâte (et souvent n’importe quoi) et s’entraîne une seule fois jusqu’à tard le soir. Ce planning scolaire génère à terme un déficit qualitatif et quantitatif d’heures d’entrainement qui se creuse au fil des années et impacte plus tard le jeune dans ses performances.
Tandis que si on permet aux jeunes joueurs de suivre un planning adapté à leur activité sportive, comme c’est maintenant le cas au lycée sportif depuis 2017 (suite à la décision de la Direction Technique nationale et du Bureau Fédéral), ils pourront s’entrainer deux fois par jour et réduire le gap qui se creuse (particulièrement entre 15 et 19 ans) avec les jeunes de leur âge dans d’autres pays.
Ettachkila : Et que préconises-tu dans ce sens ?
Amine Neffati : Je préconise une refonte du planning scolaire avec la création de classes « sportives » dans les lycées sur l’ensemble du pays ou encore la création d’académies propres aux clubs pour une prise en charge globale du jeune (un investissement qui implique certes des moyens mais qui peut aussi rapporter sportivement et financièrement) car nous avons beaucoup de qualité chez nos jeunes mais il faut la faire accompagner par un volume d’heures d’entraînements adéquat et des conditions propices à la performance (nutrition notamment) tout en leur permettant de poursuivre leur scolarité. C’est comme ça qu’on pourra mieux lutter avec les grandes nations par la suite..
« Même si l’apprentissage passe en premier, nous somme toujours derrière nos jeunes joueurs, à les pousser à donner le meilleur d’eux-mêmes et à leur inculquer la culture de la gagne »
Ettachkila : Quel est ton retour d’expérience sur les dernières compétitions de tes anciens poulains (notamment la CAN U20 et le Championnat UAFA U20)?
Amine Neffati : D’abord nous sommes contents d’avoir pu encadrer et permettre à de jeunes U17 talentueux de passer Pro à l’instar de Youssef Sanana (un projet d’attaquant très complet) et Firas Mahdouani, passés Pro à 17ans. Cinq natifs 2003 et 2004 ont par ailleurs participé à une Coupe Arabe et cela est très important pour leur expérience.
Pour revenir au bilan des dernières échéances de nos U20, notamment la Coupe Arabe des Nations, nos poulains issus des U17 (notamment Youssef Sanana, Mahdouani, Karim Abed, sociétaire de Karlsruhe, Salah Barhoumi, Fredj Ben Njima) étaient appliqués et ont répondu présents avec l’ensemble du groupe surtout pendant les changements tactiques en cours de matchs. Ceci n’empêche qu’il reste des points à améliorer qui viendront avec plus d’expérience, notamment les choix sous pression, la gestion du rythme et le timing des transitions. Globalement, et même si nous ne sommes pas parvenus à nous qualifier à la CAN U17 (élimination à la différence de buts face à l’Algérie, ndlr), le tournoi qualificatif d’Alger reste une très bonne expérience humaine qui a permis à nos aiglons de cumuler l’expérience de la compétition.
Ettachkila : Un mot sur les objectifs de la Tunisie pour les futures échéances et les perspectives de nos sélections de manière plus large ?
Amine Neffati : Il s’agit pour nous de dupliquer le travail fait auprès des natifs 2004 sur les 2006. En juin, nous avons mené un stage en Tunisie avec les U17 en convoquant un effectif élargi. L’objectif court terme pour la tranche d’âge 15-16 ans est d’être bien dans les tournois avec une approche technique au point. Quant aux échéances des U20, que nous avions récemment pris en main, nous préparons deux rendez-vous qui sont la Coupe de l’UNAF qui aura lieu en Décembre ainsi que les qualifications à la CAN U20 2023 (deux tournois dont les pays hôtes n’ont pas encore été désignés, ndlr)
« Il s’agit pour nous d’aborder nos tournois avec un esprit conquérant. Nos joueurs doivent faire leur apprentissage dans l’exigence du haut niveau et en arrivant avec la meilleure formation possible. »
Ettachkila : Quels bénéfices vous apporte dans ce sens la nouvelle stratégie de sourcing des binationaux mise en place par la Fédération. Y a t-il des impacts possibles sur la formation locale ?
Amine Neffati : Nos jeunes locaux et binationaux se valent, mais cette stratégie nous permet de bénéficier de jeunes éléments de grande qualité qui peuvent nous apporter quelque chose de différent tout en développant très tôt un fort sentiment d’appartenance envers la Tunisie. Ça n’est en aucun cas une menace, au contraire ça oblige à relever le niveau de la formation en Tunisie.. En termes de comportement, l’attitude des nouveaux binationaux ayant renforcé les U17 comme Karim Abed est exemplaire et nous fait très plaisir.
Ettachkila : Culturellement, la Tunisie n’a pas de traditions de conquête et s’est toujours adaptée aux menaces extérieures. Cela se répercute-t-il sur notre façon de jouer au football ? Nous ne sommes pas conquérants mais nous répondons souvent présents.. Comment expliquer cela ?
Amine Neffati : (Rires) il y a du vrai dans ce constat : historiquement, le tunisien est un commerçant ingénieux qui trouve souvent le moyen d’atteindre ses objectifs. Footbalistiquement, si on regarde l’Afrique du Nord, nous sommes globalement un peu moins lotis techniquement (en termes de talent intrinsèque) que nos voisins, mais plus disciplinés tactiquement, notamment dans les transitions défensives.
Après, faire le jeu et chercher à « conquérir » l’adversaire requiert aussi des joueurs d’une certaine typologie (de bons demis de couloirs, des milieux intelligents techniquement, qui demandent le ballon entre les lignes, qui prennent l’information, analysent vite) et surtout, cela nécessite du temps.
Ettachkila : Qu’est-ce qu’une bonne équipe pour toi ?
Amine Neffati : Une bonne équipe, du moins celle que nous travaillons à préparer, est une équipe qui doit être appliquée tactiquement, avec et sans ballon, une équipe qui sait mettre en place ses circuits préférentiels et qui exploite au mieux les espaces. Mais il y a aussi un facteur prépondérant qui est le contrôle émotionnel et la lucidité durant la compétition pour faire les bons choix; c’est ce qui explique parfois qu’un jeune n’applique pas (ou applique partiellement) ce qu’il sait faire et sur quoi il a beaucoup travaillé à l’entraînement. Cet aspect mental n’est pas toujours perceptible par le spectateur.
Ettachkila : Le mot de la fin Amine ?
Amine Neffati : C’est un plaisir d’avoir échangé avec vous autour de ma passion. Je continue à me projeter et à travailler pour atteindre les objectifs qui nous sont assignés tout en étant entouré de personnes inspirantes et très compétentes à l’instar de Nejah Toumi et en cherchant en permanence à m’améliorer.
Je garde aussi dans un coin de ma tête l’ambition d’entraîner un jour l’Espérance et l’Equipe Nationale, c’est un peu ma mission de vie et je sais que je serai prêt inchallah. Je ne finirai pas sans souhaiter une bonne continuation à nos jeunes ; l’avenir est pour eux à condition de s’impliquer totalement et de garder les pieds sur terre.