Après une première partie axée sur sa carrière de joueur pour le moins atypique et riche en pics émotionnels, place dans cette seconde et dernière partie de notre interview avec Mohamed Slim Ben Othman à sa récente reconversion au poste de Directeur Sportif chargé des binationaux. Il y est question de stratégie, de méthodes, de figures clés du projet et.. de relations de confiance.
Les dessous de la reconversion
ETTACHKILA : Mohamed Slim, très vite après avoir raccroché les crampons, tu es devenu Directeur Sportif chargé des binationaux. Était-ce un choix de carrière ou un concours de circonstances ?
Mohamed Slim Ben Othman : Je vais peut-être vous surprendre mais j’ai arrêté le Foot pour ce poste. Au fur et à mesure de mes dernières expériences, je me suis rendu compte que je pouvais être plus utile en dehors du rectangle vert tout en gardant intacte ma passion que j’avais l’opportunité de poursuivre dans le cadre d’une nouvelle mission. Je n’ai pas eu le temps d’être nostalgique des terrains de foot (rires).
ETTACHKILA : Comment se sont faits les premiers contacts avant ta prise de fonction ?
Mohamed Slim Ben Othman : Depuis ma convocation pour le stage de l’EN en 2017 à l’orée du match contre l’Égypte (éliminatoires de la CAN 2018. Victoire 1-0 pour la Tunisie, ndlr), j’ai noué des relations de respect mutuel avec le giron de l’Équipe Nationale. Quand par exemple j’ai traversé cette mauvaise passe à l’US Orléans (situation extra-sportive compliquée et blessure survenue alors que j’ambitionnais d’être convoqué pour la Coupe du Monde 2018), Wadie Jary et d’autres personnes de l’entourage du Team Tunisie avaient pris contact avec moi et demandé de mes nouvelles, chose qui m’avait touché et réconforté.
Vers la fin de mon expérience de joueur en Tunisie (au Club Africain, ndlr), on s’est revu avec le président de la FTF et avions échangé notamment sur ma vision du football. J’ai pu constater qu’il avait déjà en tête un projet de sourcing des binationaux et du développement des sélections des jeunes (notamment les U17 et les U20). Il m’a par la suite proposé le poste de Directeur Sportif en m’accordant un temps de réflexion. Ma réponse n’a pas beaucoup tardé car cette opportunité était un beau challenge mais aussi une réhabilitation qui me permettrait de rebondir après tout ce que je venais de traverser…
ETTACHKILA : Quelle relation as-tu avec le président de la fédération ?
La vérité, Wadie Jary a eu un rôle important dans ma reconversion. Il m’avait observé et beaucoup cru en moi, et pour cela je lui en suis reconnaissant. Pour rendre à César ce qui appartient à César : bien que rigoureux et très exigeant, il me fait confiance dans les choix sportifs. Mes vis-à-vis restent avant tout les sélectionneurs nationaux et je dispose d’une marge de manœuvre importante pour mener à bien ma mission. Ces éléments sont très importants dans la réussite de notre projet collectif.
ETTACHKILA : En parlant de ce projet, peux-tu nous en dire plus sur les critères requis pour le poste de Directeur Sportif ?
Mohamed Slim Ben Othman : Comme c’est un nouveau poste au sein de la Fédération, les principaux critères étaient avant tout d’avoir une certaine légitimité en tant que joueur (avec des expériences à l’international), de bien connaître l’environnement de la sélection, d’avoir un background académique en management sportif en plus d’avoir un discours qui passe auprès des joueurs..
Je dirais aussi que la maîtrise des langues étrangères est primordiale dans ce sens, nous avons actuellement des joueurs anglophones en Équipe Nationale (comme Hassan Ayari, Adem Bellamine Mark Lamti et Ramzi Ferjani chez les U20) et il est très importants d’être en mesure de comprendre les attentes de ces jeunes, de bien les accompagner pour pouvoir les intégrer au mieux dans le groupe. Au vu de tous ces éléments et avec un peu de recul, je pense avoir la crédibilité nécessaire pour remplir ce rôle.
« Ce que j’ai appris en une année dans le giron de la fédération équivaut à une expérience de 5 à 6 ans en club »
Ettachkila : Étant amené à gérer le double volet administratif et sportif, quelles sont les personnes qui t’ont marquées durant ta carrière de joueur ?
De ceux que j’ai côtoyés, Saïd Chabane, (président du SCO d’Angers, ndlr) est parmi les dirigeants ayant eu le plus d’influence sur moi de par sa gestion de club en véritable chef d’entreprise (un modèle en la matière) mais également à travers le développement et le rayonnement de l’équipe sur le plan sportif. La croissance de la valorisation du club sous ses ordres depuis 2010 est juste spectaculaire !
Olivier Pickeu (Directeur Sportif d’Angers entre 2006 et 2020, ndlr) m’avait également beaucoup marqué. Une véritable école de communication.. Sa longévité au SCO parle d’elle-même..Sinon, pour moi, le meilleur DS en France reste Leonardo, une référence ultime de par son charisme et son réseau à l’international. Derrière son côté charmeur et « bête médiatique », sa capacité d’écouter et de comprendre le joueur me parle beaucoup.
Les missions & les méthodes de travail
ETTACHKILA: Venons-en maintenant à ton quotidien. Peux-tu nous présenter ton travail (missions, objectifs, méthodes…) ?
Mohamed Slim Ben Othman : Il y a une idée que j’aimerais clarifier d’emblée : notre principal argument demeure l’argument sportif. Le vivier étant relativement étroit, nous devons axer notre travail sur la veille et la proactivité pour ramener très tôt en sélection les jeunes talents à fort potentiel. Dans cette optique, je travaille en collaboration avec différents intervenants faisant partie de mon réseau en Europe (directeurs techniques, scouts, anciens coéquipiers devenus coachs…) sur la collecte d’informations et la détection des profils cibles.
Dans ce sens, je tiens à saluer le rôle que jouent certains bénévoles passionnés comme l’équipe des « Les Talents Tunisiens » qui fait un travail très utile dans l’enrichissement de notre base de données et dans le développement du football tunisien en général… Tous ces canaux constituent « la face cachée de l’iceberg » qu’on ne voit pas forcément quand un jeune joueur explose au plus haut niveau.
« Beaucoup ne le savent pas, mais mon job commence aussi, et surtout, quand un binational arrive en Équipe Nationale »
D’une manière plus globale, je mène un travail de longue haleine pour pouvoir préparer le terrain et créer une relation de confiance avec le joueur. Il est important de lui exposer très tôt nos arguments, de le rassurer au mieux sur notre Projet pour pouvoir le convaincre de la viabilité du choix de la Tunisie.
Une fois le joueur là, je deviens en quelque sorte un « conseiller » pour l’aider, l’orienter et l’accompagner dans le renforcement sa carrière à travers son statut d’international… Mon rôle c’est aussi de soutenir le joueur en cas de difficulté comme c’était le cas pour Anis Ben Slimane (dont je salue l’état d’esprit remarquable), qui a souffert du comportement de la presse danoise à son égard suite à son choix d’opter pour la Tunisie : il était important de montrer à Anis notre soutien indéfectible en toute circonstance.
Ettachkila : Beaucoup se posent la question sur comment se passe une prospection-type d’un jeune binational. Peux-tu nous présenter cette démarche ?
Mohamed Slim Ben Othman : Comme je l’avais précédemment mentionné, c’est un travail d’équipe qui se fait en amont avec les sélectionneurs nationaux (Mondher Kebaier, Maher Kanzari, Najeh Toumi..) et l’encadrement (notamment Houcine Jenayah, membre fédéral chargé de la sélection A). Après échange autour des profils cibles et validation commune, une shortlist est alors dressée. À partir de là, je contacte (dans l’ordre) les parents, le joueur puis le club. L’objectif est d’installer une relation de confiance et d’être très régulièrement aux nouvelles et attentif aux feedbacks.
Souvent, le flair et le timing sont ici très importants, c’est une démarche au cas par cas. Par exemple pour Ramzi Ferjani (ex- Borussia Dortmund U19 ayant joué la Youth League), que nous suivions déjà depuis quelques mois et avons invité au tournoi UNAF en Décembre dernier, on a acté les choses avec lui quelques jours avant sa signature au FC Nitra (D1 Slovaque) en vue de sa participation à la CAN (une participation dont le volet administratif était bien verrouillé). C’était le cas aussi avec Sebastian Tounekti (ailier du FK Bodø/Glimt en Norvège), avec qui nous avons fait tout le travail administratif pour pouvoir le qualifier à cette CAN, et malgré la volonté du joueur et son entourage, son club a (malheureusement) refusé de le libérer (hors date FIFA). On espère le voir avec nous très prochainement..
Je n’attends pas qu’un joueur commence à briller chez les A pour le contacter. Cette anticipation nous permet de maximiser nos chances.. Aussi, si un très jeune profil nécessite qu’on se déplace pour lui ou qu’on l’invite, on le fait sans hésiter. C’est le cas de plusieurs talents que nous suivons à l’instar d’Aymen Sliti (jeune ailier U15 de Feyenoord Rotterdam, ndlr) dont l’agent a été très agréablement surpris par la précocité de notre démarche. J’insiste sur l’importance de se positionner très tôt sur ces différents profils.
ETTACHKILA: En parlant de prospection, est-ce que vous partez d’une problématique dans des compartiments de jeu précis ou bien vous cherchez plutôt à attirer de jeunes cracks tous postes confondus quand l’occasion se présente ?
Mohamed Slim Ben Othman : Bien évidemment, toutes les pistes sont les bienvenues et tout joueur qui joue à un niveau respectable mérite d’avoir une chance. Notre objectif premier reste de détecter et de préparer les potentiels futurs internationaux peu importe leurs postes. Après, il est important de souligner que les binationaux sont là dans un cadre complémentaire à la formation en Tunisie, qu’il s’agisse d’une carence dans un poste donné ou pas. Mais dans la pratique, le ciblage se fait par tranche d’âge : le plus tôt on se manifeste, le plus on aura de la crédibilité.
« L’aspect humain doit primer pour être à la hauteur de la confiance que nous ont témoigné les joueurs et leurs parents.»
ETTACHKILA: Tu es donc en quelque sorte un VRP amené à promouvoir la destination Tunisie auprès de jeunes prospects et de leurs familles. Quels principaux arguments mets-tu en avant ? et quels freins rencontres-tu le plus souvent durant les discussions ?
Mohamed Slim Ben Othman : Comme je l’abordais précédemment, les arguments de la Tunisie sont avant tout sportifs. Aujourd’hui c’est la 1ère nation au classement arabe et la 2ème sur l’échelle africaine (la Tunisie est 28e au dernier classement FIFA). Nous jouons régulièrement les premiers rôles à la CAN et avons pu nous qualifier à la Coupe du Monde à 4 reprises sur les 6 dernières éditions. Faire partie de la sélection dans un futur proche offre la perspective à un international A Tunisien de participer à la CAN, à la Coupe Panarabe et éventuellement à la Coupe du Monde 2022 : et ça, en termes de visibilité, ça te change toute une carrière !
Concernant les freins, il est vrai que certains jeunes souhaitent parfois se concentrer en premier lieu sur leur carrière en club (pour sécuriser leur contrat Pro), chose que je peux comprendre. Je rappelle toutefois aux joueurs que leur objectif personnel ne va pas à l’encontre de notre projet, voire plus : qu’on peut les aider à atteindre ces objectifs.
« J’explique aux binationaux réticents que le choix de la Tunisie va les aider à réaliser leurs objectifs… Combien de chances a un jeune talent de 17 ans de jouer pour l’Équipe de France ? Très peu ! En revanche, regardez les carrières de Riyad Mahrez, Salah et Mané… »
Regardez l’exemple de Hassan Ayari : depuis son arrivée en sélection (je salue par ailleurs le mérite de Maher Kanzari qui a fait le pari de le prendre à quelques jours du dernier tournoi UNAF), son statut d’international a considérablement augmenté sa notoriété. Son club (Sheffield United) met désormais en avant la Tunisie pour communiquer autour de son jeune talent. C’est une vraie satisfaction de compter un garçon comme lui dans notre groupe, d’autant plus que les USA étaient aussi sur le coup (et le sont encore) mais nous avons pu les anticiper..
Aussi, malgré parfois quelques réticences, le rôle des parents est primordial dans toute la démarche. Comme la Tunisie n’offre pas de contrepartie financière pour s’attacher les services de ses binationaux, nous recherchons en permanence à développer ce sentiment d’appartenance et à offrir les meilleures conditions de travail. L’attitude exemplaire notamment de Hamza Rafia, d’Anis Ben Slimane et plus récemment des U20 ayant participé au tournoi qualificatif à la CAN comme Adem Bellamine, Marc Lamti et Elias Damergi (sorti en pleurs lors de sa blessure en match inaugural face à l’Algérie) nous conforte dans cette orientation.
« On doit être fier de ce que Hannibal Mejbri est entrain de faire, indépendamment de son choix final. Quoi qu’il arrive, il sera toujours Tunisien et fier de ses origines »
ETTACHKILA: Venons au cas Hannibal Mejbri…Beaucoup de choses se disent autour de son sujet.. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Mohamed Slim Ben Othman : (sans hésiter) Il est clair que Hannibal pourrait être un leader important de notre projet sportif et créer un véritable effet d’entraînement. Indépendamment de son talent indiscutable et de ce qu’il réalise actuellement avec les U23 de Manchester United, je suis particulièrement emballé par sa personnalité et sa maturité pour son âge (18ans). Ça fait longtemps qu’on est sur son sujet, le joueur et sa famille ont bien pris conscience de notre projet. Nous leur avons présenté nos arguments et surtout nos ambitions communes pour la Tunisie..
Ce qui peut faire le déclic ? Ceci dépendra de plusieurs facteurs car Hannibal a besoin de se projeter que ce soit au niveau club qu’au niveau sélection. Il a besoin d’une vision globale sur son futur et cela ne dépend pas uniquement de nous.. Mais je peux vous assurer que nos chances dans ce dossier sont réelles. D’ailleurs, ce que je dis sur Hannibal est valable aussi pour Haissem Hassan, le jeune attaquant du Villarreal CF..
ETTACHKILA : À la veille de la prochaine CAN U20, quels sont les objectifs de nos Aiglons ? (La 22ᵉ CAN U20 se déroule du 14 février au 4 mars en Mauritanie, ndlr)
Mohamed Slim Ben Othman : Le dernier tournoi qualificatif au mois de Décembre a permis d’observer un comportement d’une équipe solidaire et collective avec des binationaux très impliqués. Si la pression liée au statut de pays organisateur a quelque peu accablé mentalement les joueurs, j’estime qu’on sera plus libérés en phase finale..Il est important pour ce groupe de confirmer son statut (Finaliste de la dernière Coupe Arabe U20) et de remplir son objectif : sortir de la phase de groupes puis prendre les matchs les uns après les autres (*). Ça donne de la crédibilité au projet d’autant plus qu’il s’agit de l’équipe prétendante à la qualification aux JO 2024..
Le groupe emmené par le sélectionneur Maher Kanzari est très homogène et possède un vrai esprit famille. Nous avons 8 expatriés, plusieurs joueurs prometteurs dont l’attaquant des U17 Youssef Sannana. D’ailleurs, en parlant de cette catégorie nous sommes très contents du comportement de l’équipe au dernier tournoi UNAF en Algérie. La qualification s’est jouée à pas grand chose mais l’objectif principal reste que nos jeunes confirment leur statut d’internationaux et qu’ils puissent se projeter chez les A.
(*) L’actuelle édition de la CAN U20 n’est pas qualificative à la Coupe du Monde, ndlr.
ETTACHKILA : Mohamed Slim, on te laisse le mot de la fin..
Mohamed Slim Ben Othman : Merci à vous de m’avoir donné l’opportunité de m’exprimer sur ma passion et ma mission. Je suis motivé au plus haut point pour faire de grandes choses pour la Tunisie. Nous avons de grandes ambitions, inchallah on arrivera à les concrétiser pour le bien du football tunisien et l’image de notre pays. Le jour où on n’aura plus à s’employer pour convaincre un jeune binational de jouer pour nous, c’est que le projet aura parlé de lui-même.. J’en serai fier à vie.